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vendredi 13 novembre 2015

Après les attentats contre Charlie et l’Hyper cacher, je me suis sentie pleine de larmes, mais aussi de colère et d’envie de combattre. Nous nous sommes retrouvés des millions dans cet état d’esprit. Puis lentement, au fils des mois, a remonté en moi la peur, venue d’un autre temps. Dans les gares, dans les centres commerciaux, dans le métro, dans les salons du livre comme à Brive où une foule compacte se pressait autour des stands, dans les concerts de rock où je repérais « à tout hasard », dès mon arrivée, les issues de secours. Peur que je jugeais irrationnelle, héritée de mes ancêtres, absurde, et dont je plaisantais.

…Jusqu’à ce vendredi soir. Aujourd’hui, c’est la tristesse et le découragement qui m’habitent. Ces vies arrachées, perdues, mutilées.  Leurs parents, leurs enfants, leurs amis. Je n’ai pas envie de me joindre aux rassemblements, de me rendre  sur les lieux, encore moins de prier ou même de pleurer.

Je me répète ces mots d’une autre époque, celle où l’on croyait encore à un monde meilleur pour tous. Je n’y crois plus mais je me les répète quand même, comme un mantra, pour qu’une petite fenêtre en forme d’espoir s’ouvre encore en moi.

john-lennon-imagine-1

lundi 16 novembre 2015

Trois jours après…Saoulés d’images, de discours, de débats, de symboles, de marseillaises, de drapeaux, de devise de Paris, de souvenirs, de je-n’y-étais-pas mais j-aurais-pu-y-être ou mes- enfants-auraient-pu-y-être, de larmes et d’émotion, d’empathie et de compassion, de minutes de silence et de bougies allumées, d’enquêtes et de reportages,  – que dire ? que faire ? De la sidération à l’émotion, de l’émotion à la tentative de compréhension. Il faudrait éteindre les écrans, lâcher les réseaux sociaux, ne plus parler qu’à ceux qu’on aime, faire retraite pour fourbir ses armes.  À chacun les siennes : résistance, intelligence, méfiance, méditation, silence, échanges…

Dimanche, nous avions prévu de fêter mon anniversaire en famille. En avions-nous encore envie ? Pas vraiment. J’hésitais à mettre du champagne au frais. Il faisait beau, un soleil printanier sur le jardin. Nous sommes allés nous promener, des enfants jouaient sur la place. La chienne tirait sur sa laisse, comme d’habitude. La vie était là. Au retour, nous avons trinqué au bonheur d’être vivants, ensemble, avec une pensée pour ceux qui ne l’étaient pas. Nous avons mangé, bu, ri, étonnés nous-mêmes du bien que cela nous  faisait.  Rien n’est oublié. Le cauchemar n’est pas fini. Mais par moments, un répit permet de reprendre des forces et de mieux voir son chemin. Il est encore long.

malaise dans la sidération

mardi 17 novembre

Dans le train de banlieue qui conduit à St Lazare. Sommes-nous vraiment en guerre comme l’a affirmé le Président de la République la veille ? Rien ne semble l’indiquer : mêmes visages plongés vers les téléphones mobiles, mêmes conversations de dames allant sur Paris (« j’aime beaucoup ta lampe verte, où l’as-tu achetée ? Tu vas vraiment aux Sports d’hiver avec tes deux petits-enfants ? Je te souhaite bien du plaisir ! ») Un homme parle très fort dans son portable en arabe. Personne ne lui signale qu’il gêne . Je tente de lire, renonce et écoute à mon tour de la musique, les écouteurs dans les oreilles, pour effacer les bruits ambiants. St Lazare. Je lutte contre mon angoisse, des soldats et des policiers patrouillent, j’ai envie de les remercier. Métro ligne 13, direction St Denis, la France métissée. Je descend à la Place Clichy, passe sur le pont qui enjambe le cimetière Montmartre où sont enterrés mes parents, où je serai un jour. Les jardiniers  arrachent déjà les chrysanthèmes mauves et jaunes des parterres . C’est dommage, dit une dame en passant.  Je dois retrouver, dans un restaurant de la rue Danrémont, Denise, 95 ans. Le restaurant est vide. Les gens ne sortent pas, confirme le patron. Happée par les événements, Denise a passé la nuit de vendredi devant sa télévision. Elle n’a pas peur pour elle – « à mon âge, cela ne compte plus ! » – mais pour ses petits-enfants. L’un habite près de la République et le Petit Cambodge est sa cantine, l’autre vit en Haïti, et la troisième est correspondante de l’AFP à Jérusalem. Toujours une raison de s’inquiéter. Elle est gaie, pourtant, généreuse, ouverte au monde, pétillante d’intelligence. Au retour, en fin d’après-midi, pour combattre ma phobie, je me force à rester dans le centre commercial de la gare St Lazare. Je vais dans une parfumerie, Un vigile fait ouvrir les sacs mais n’a pas le droit de les toucher. La boutique est bondée, les femmes se promènent, se parfument, essayent les produits de beauté. En jetant des regards inquiets vers l’entrée, j’achète du fond de teint, le vendeur tient à me maquiller. Je refuse (« je suis pressée ») mais finis par céder à son insistance. Je suis livide dans le miroir, les yeux cernés. Dix minutes plus tard, me voilà requinquée, le visage lissé, essayant à mon tour un parfum. Je pense à Cléo de 5 à 7 d’ Agnès Varda. La frivolité serait-elle une arme contre l’angoisse ? Pleine d’une énergie retrouvée, je prends l’escalator pour monter vers les voies puis redescend et achète deux cahiers pour mon prochain livre. Il est temps de me remettre au travail. Nous sommes peut-être en guerre mais la vie continue. Les informations, puis la Marseillaise au stade de Wembley, le soir, me rappellent au tragique, et je pleure.

Ce matin, mon amie Jacqueline qui mène son combat personnel contre un autre ennemi, m’envoie cette photo de Florence  où elle est allée reprendre son souffle entre deux cures éprouvantes. Le David de Michel-Ange est solidaire, et les forces de vie l’emporteront, écrit-elle. Oui.

Le David de Michel-Ange

Jeudi 19 novembre 1015

Hier soir, une fois n’est pas coutume, je regarde les actualités sur TF1. Police, RAID, BRI . Le calme et la retenue des chefs présents sur le plateau contrastent avec la teneur générale des informations dont le message, clairement, est : « nous sommes en guerre ». L’assaut à St Denis est montré et remontré, commenté. Les images de propagande de Daesh, le visage souriant d’Abdelhamid Abaaoud, à pied, en voiture, brandissant son arme, ses proclamations sanguinaires bien inscrites sur l’écran en blanc sur noir. De St Denis nous passons à Molenbeek et son foyer d’islamistes d’où sont issus les terroristes de la semaine dernière. J’éteins la télévision avant la fin des actualités. Ce matin, réveil au son des vociférations de Marine Le Pen. Je baisse le volume de ma radio. Mais je le monte à nouveau pour écouter Virginie Despentes qui dit, avec simplicité, tout ce que j’avais envie d’entendre depuis vendredi. Pas de proclamations tonitruantes, pas d’invectives, pas de pathos, non, seulement, le constat que voici : nous vivons désormais avec ces événements en nous, avec la conscience qu’ils peuvent se reproduire. Nous avons eu la chance, dit-elle aussi (je la cite de mémoire), d’avoir vécu jusqu’à présent dans la paix. Désormais, nous ne savons pas comment chacun de nous réagira à cette situation nouvelle. Il est trop tôt pour le dire, trop tôt aussi pour écrire. Heureusement, pas pour parler car ses paroles font du bien. Elles nous rappellent, avec sagesse, à la réalité de ce que nous sommes et de ce qui est.

Despentes douce

Vendredi 20 novembre 2015

Abaaoud mort. Prolongation de l’état d’urgence. Et fin de ma chronique de cette semaine  sans que je sache vraiment pourquoi j’ai choisi de la partager. Peut-être pour mettre en commun ces moments si particuliers, et mon regard sur un quotidien si banal malgré tout que chacun peut s’y retrouver. Je vais continuer à chercher  de mon côté des antidotes au poison de la haine. Comme par exemple, les mots de Frédéric Lenoir, de Christophe André et de Michaël Foessel, hier soir, dans l’émission de F.O Giesbert. Enregistrée le 10 novembre (avant les attentats, donc), son sujet paraissait de prime abord décalé : « Existe-t-il des recettes de bonheur ? » Or, rien ne pouvait être plus en situation. Il y fut question du Temps de la consolation, de La puissance de la joie, de l’entrainement à la méditation et de l’aspiration vitale sinon au bonheur, du moins à la joie, pour chacun d’entre nous.  Voilà à quoi je vais m’employer de mon mieux.