Etrange destin que celui de Flora Tristan (1803-1844) : celle qui restera dans l’histoire comme la Femme-Messie des Saint-Simoniens, la compagne de lutte des ouvriers, socialiste avant l’heure, est née de l’union d’un aristocrate péruvien et d’une bourgeoise parisienne. Celle qui, avant de mourir d’épuisement à 41 ans, parcourant les routes de France pour y prêcher la cause des travailleurs, fut aussi une beauté voluptueuse, arrachant ce jugement à un contemporain : « C’est la Circé antique, moins la baguette ».
Violente, indépendante, capable de tous les excès et de toutes les contradictions, en ce siècle des messies d’un jour que fut le XIX° siècle, Flora Tristan se construit à travers ses métamorphoses: Elle fut tour à tour aventurière au Pérou, où une partie de sa famille vivait dans l’opulence, mère de famille en rupture, échappant de peu à un coup de pistolet du mari furieux, femme de lettres dansant dans les bals à la mode, amie de Marie Dorval, s’attirant la jalousie d’une George Sand, puis sous l’influence des utopies fouriéristes, prophète de l’Union ouvrière, à sa manière presque mystique, indomptable, suicidaire.
Alors, où est la vérité du personnage ? « Paria-Archiduchesse » selon le mot de l’époque, ou « Bas-bleu » socialiste s’écriant « Que c’est beau d’être bon », d’après son petit-fils qui n’est autre que… Paul Gauguin ! Du Pérou libéré par Simon Bolivar au Paris du petit peuple, de Londres où Flora Tristan se déguisa en homme pour pénétrer la Chambre des Lords à la France bourgeoise de Guizot, des archives du Romantisme aux cercles enfumés des utopies messianistes, des faux prophètes aux vrais ouvriers, Evelyne Bloch-Dano enquête. Flora Tristan, auréolée depuis d’une gloire féministe, n’est ici ni sainte ni martyre. Juste une femme complexe, étonnante de modernité, qui décide d’aimer comme elle le veut.