NOUS SOMMES CHARLIE
60 écrivains unis pour la liberté d’expression
(Tous les bénéfices seront reversés à Charlie Hebdo)
Le LIvre de Poche
Ces textes écrits parfois dans la précipitation – nous avions très peu de temps – et l’émotion des événements reflètent la diversité des réactions et des styles. Certains auteurs, les plus connus, ont reproduits leurs textes déjà publiés, d’autres, comme moi, ont essayé d’exprimer, au mieux, leur ressenti et leur réflexion. Je m’interroge seulement sur la répartition des dons, de manière générale, aux différentes familles de victimes. Certaines ont certainement besoin aussi d’un soutien. J’espère que Charlie Hebdo les fera bénéficier de cette générosité, si nécessaire.
« Là où la vie emmure, l’intelligence perce une issue… » Marcel Proust
Les Juifs ont obtenu la citoyenneté française le 29 septembre 1791, deux jours avant la dissolution de l’Assemblée Constituante. La France est le premier pays à les avoir émancipés, leur accordant tous les droits réservés aux « citoyens actifs ». Les Juifs de France sont les enfants de la Révolution et de la Déclaration des droits de l’homme. Quels qu’aient été les drames et les persécutions auxquels ils ont été confrontés, quels que soient les doutes et les craintes de certains d’entre eux, ils sont profondément attachés aux principes républicains de ce pays avec lequel ils font corps. Voilà à quoi j’ai pensé le jour de la marche, immergée dans la foule immense où se retrouvaient tant d’hommes et de femmes athées ou croyants, de toutes nationalités, de toutes origines. Un moment historique où le chagrin se mêlait à la fierté d’être si nombreux, sans bannières et sans barrières, un mouvement puissant, spontané, venu des profondeurs de notre Histoire, une manière de dire pour la foule silencieuse et joviale, innombrable et calme, un seul corps aux milliers de têtes, de bras, de jambes, de pieds qui piétinaient ou marchaient : Nous sommes là, et pas seulement devant nos écrans de télévision ou d’ordinateurs, mais dans les rues, les boulevards, les avenues, sur les places, nous sommes le peuple avec toutes ses composantes, toutes ses classes sociales, tous ses âges, des vieillards aux bébés, et nous ne vous laisserons PAS passer. Vous, les assassins au nom d’une foi brandie comme une arme, qui se retourne aussi contre les vôtres. Ce moment de symbiose est-il illusoire ? Suis-je naïve ? Je sais, bien sûr, que cette belle unité se fissurera. Je sais que certains ne s’y reconnaissent pas. Je sais que d’autres se sentent exclus de notre société et vivent à raison cette exclusion comme une injustice. Mais c’est le souvenir de ce dimanche 11 janvier 2015 que je veux garder. Au delà des sourires, de la bonhommie, dans le silence impressionnant, dans les applaudissements frappés par des milliers de mains comme des roulements de tambour, je voyais cela : des êtres humains, réels et non virtuels, ensemble et en pleine rue, comme Gavroche retrouvant ses forces en touchant le pavé de Paris, la France de Rabelais, de Molière, de Voltaire, de Diderot, de Hugo, de Sand, de Zola, la France des droits de l’homme, défendait son idéal démocratique, sa morale laïque, sa liberté d’expression, la tolérance, l’insolence, l’esprit critique, le courage et l’humour – juif ou pas ! – parce que « rire est le propre de l’homme » et que tous, absolument tous, nous avons besoin d’espoir pour vivre.
Evelyne BLOCH-DANO